100 km de Millau : le graal de Tatard
Jean-François Tatard (EFCVO) troisième du 100km de Millau 2014. Photo : EFCVO.
Le 27 septembre à 18h10, Jean-François Tatard a connu le summum de sa carrière sportive. Sous le regard ému de son père et de son cousin, l’athlète de l’Entente Franconville Césame Val-d’Oise (EFCVO) a bouclé le dantesque 100km de Millau en troisième position en 8h09’27. Le protégé de Marc Lozano a rejoint dans la légende le Mérysien Guillou (7h54’ en 1995), le Sarcellois Lemaux (7h59’ en 1977) et le Marlysien Languille (30 fois finisher), devenant le premier Valdoisien à monter sur le podium de l’épreuve en 43 éditions.
Le 100 km de Millau est une course mythique considérée comme «La Mecque» du Cent bornes. Quand as-tu découvert cette épreuve hors norme ?
- Jean-François Tatard : J’ai grandi avec cette course. J’en rêvais déjà au début des années 1990, lorsque j’étais champion Ile-de-France minime sur 1000m et qualifié deux fois aux France cadets de cross avec Guillaume Éraud. J’ai toujours considéré qu’en termes d’ultra-fond, il y avait deux courses majeures : l’Ultra-Trail du Mont-Blanc et le 100km de Millau.
On connaissait surtout ton parcours cycliste sous les couleurs de l’Étoile Cycliste d’Argenteuil et du Pac 95. Mais visiblement la course à pied était ta première passion ?
- Oui. J’attendais toujours avec impatience les cross d’école. Puis à l’âge de 12 ans, j’avais falsifié la date de naissance de mon bulletin d’inscription pour participer au Paris-Versailles (une course de 16 km, célèbre pour la côte des Gardes et ses passages à 18%). Puis au vu de mon engouement, j’ai pris ma première licence à Franconville. J’ai alors connu rencontré un groupe fabuleux et des coureurs qui sont toujours mes amis aujourd’hui (Marc Lozano, Guillaume Eraud, Guillaume Douceret…). Je progressais et j’aurai sans doute pu réaliser une belle carrière d’athlète. Mais dans ma famille, le vélo est une religion… Mon père a disputé des courses amateurs en 1ère catégorie contre Laurent Fignon. Mon cousin, Benoît Vaugrenard, est aujourd’hui coureur professionnel à la Française des Jeux. Et un de mes oncles a décroché de nombreux podiums en handisport. Je me suis donc intéressé aussi à la «petite reine». Dès l’âge de cinq ans, je collectionnais les figurines des cyclistes et connaissais tous les coureurs du peloton. Lorsqu’en 1996, le papa de Jean-Michel Monin (champion olympique de poursuite par équipe à Atlanta), très ami avec mes parents, m’a proposé un vélo et une licence à l’Étoile Cycliste d’Argenteuil (ECA), je n’ai pas pu refuser.
C’est ainsi que tu as été coureur cycliste de 1996 à 2008 et jusqu’en 2005 sous les couleurs de l’ECA, ton club de cœur. Que retiens-tu de cette aventure ?
- D’abord une belle amitié avec la famille Monin. Je n’aurai pas quitté leur club, même pour tout l’or du monde… J’ai ainsi été le dernier licencié de l’association jusqu’à sa fermeture en 2007. Je me souviens particulièrement d’une de mes victoires sur route à Prémontré en 2002. Paul Monin venait de décéder et je n’avais pas le cœur à rouler ce week-end là. Mais Marcelle Monin m’avait dit que le plus bel hommage que je pouvais faire à son mari était de gagner une course. Après 200 km de voiture le lundi matin, je suis au départ de cette épreuve dans l’Aisne avec une seule idée : gagner. On s’échappe à trois à la mi-course et je bats au sprint le champion de France de cyclo-cross, Geoffrey Clochez. Plus tard, en 2005, j’avais gagné à domicile, à Argenteuil, devant Franck Périgois, un ancien coéquipier qui avait quitté l’ECA. Au total, j’ai couru quatre saisons en Nationale et été deux fois champion de France corpo.
Après 14 saisons de vélo, Jean-François Tatard a repris la course à pied en 2009 sous les couleurs de l’EFCVO. Photo : Coureurs en Alsace.
Après cette vie de cycliste, à quelle occasion, es-tu revenu à la course à pied ?
- À partir de 2008, je ne pouvais plus faire de vélo à haut niveau, car mon travail de cadre dans l’industrie vétérinaire impliquait des déplacements dans toute l’Europe. J’ai alors décidé de reprendre le footing, juste pour m’entretenir. Puis, en 2009, je me suis laissé convaincre de participer au Tour de Méry par ma femme et mon fils Tiago. Je me retrouvais dans le coup pour la victoire. Ça m’a encouragé à persévérer, à améliorer mes chronos et à me fixer de nouveaux objectifs.
Et finalement, la voie de l’ultra-fond est vite devenue une évidence…
- Comme en vélo, j’ai retrouvé une capacité naturelle à encaisser de nombreux kilomètres à l’entraînement. Le proverbe d’Érasme «Celui qui connaît l’art de vivre avec soi-même, ignore l’ennui» est devenu ma philosophie. Je me suis souvent mis à faire des sorties de plus de cinq heures à l’entraînement, en habituant mon corps à trouver la gestuelle du coureur et à oublier celle du cycliste.
Quelles différences et similitudes as-tu noté entre ta pratique du vélo et de la course à pied ?
- Le travail d’endurance et la nécessité de s’entraîner sont assez similaires. C’est la philosophie qui change. En vélo, tu te compares aux autres et tu vises une place. En course à pied, tu te bats avant tout contre toi-même pour réaliser un chrono. C’est un peu comme comparer la jalousie et l’ambition. Dans les cas, ça te pousse à te surpasser.
En suivant ce raisonnement, tu as donc plutôt disputé le 100 km de Millau avec une philosophie de cycliste que d’athlète ?
- Exactement. Je suis allé chercher la place et seulement la place. Contrairement au favori Jérôme Chiotti (l’ancien champion du monde de cyclo-cross et vainqueur du 100km de Belvès 2014) et aux coureurs étrangers (italiens, belges, russes et capverdiens) qui visaient un chrono. Au vu de la canicule et du parcours extrêmement accidenté de la course (4 côtes après le 60e km), j’ai compris que c’était illusoire de viser un temps et qu’ils allaient au casse-pipe ! J’ai donc pris un départ assez prudent. Je suis passé en 25ème position au 15e km, à plus de dix minutes des premiers. Juste après le marathon, je pouvais croiser les coureurs qui me précédaient. Je lisais la détresse dans leur regard et je me suis dit : «Les gars, vous êtes morts !» À cet instant, j’ai retrouvé l’instinct du chasseur, propre au cycliste. Dans la première côte, j’ai rattrapé un Russe et un Cap-verdien, qui valaient 2h30’ au marathon. Ça m’a encore plus motivé. Et dans la seconde côte, j’ai littéralement volé ! Au 64ème km, j’ai rejoint Jérôme Chiotti, qui a abandonné. Je me suis retrouvé troisième de la course et je donnais l’impression d’être un cheval au galop qu’on n’arrive plus à calmer. Marc Lozano, mon ami et entraîneur qui me suivait à vélo, m’invitait à la prudence, mais j’étais en pleine euphorie.
Marc Lozano et Jean-François Tatard, ici à l’arrivée du marathon de Florence en 2012. Photo : EFCVO.
La légende veut que les passages à Saint-Affrique au 71e km soient les mêmes qu’à l’arrivée. As-tu pensé à ça ?
- Oui et cette pensée m’a réconforté lorsque j’ai commencé à avoir des crampes en fin de course. Après mon passage de folie, Marc m’a convaincu de baisser le rythme et d’accepter de perdre du temps pour faire disparaître les crampes. C’était la seule solution pour aller au bout et continuer à viser le podium. Mais le quatrième (le champion du Cap-Vert José Daniel Vaz Cabral) a ainsi pu me rattraper au pied de la dernière montée.
Que t’es-tu dit à ce moment-là ?
- Qu’après tous ces efforts, je ne pouvais pas finir quatrième… Je me suis mis dans la peau du gars qui fait un ‘‘10 bornes’’ en faisant abstraction des 90 kilomètres déjà parcourus. J’ai grimpé la côte comme si l’arrivée était située en haut. J’ai aussi repensé à mon père, qui a eu un cancer il y a deux ans et qui a fini par le vaincre avec sa force de caractère. J’ai pu retrouver de la combattivité et une certaine euphorie pour distancer mon rival. Lorsque j’ai franchi la ligne d’arrivée en troisième position, j’ai pleuré comme un gamin. J’avais envie de remercier tout le monde.
Jean-François Tatard à l’arrivée du 100 km de Millau 2014.
Qu’est-ce qui, selon toi, t’as permis d’être le premier valdoisien sur le podium à Millau ?
- J’ai beaucoup appris de mes sept marathons et notamment ceux disputés en meneur d’allure à Paris. Mais j’ai surtout su tirer profit des erreurs commises sur mon premier 100 km à Belvès l’an dernier (15e en 7h46’). J’ai pris des chaussures avec une pointure de plus pour éviter de me retrouver les pieds en sang. J’ai travaillé spécifiquement les descentes pour éviter de perdre trop de temps dans ce domaine. Et pendant dix semaines, j’ai parcouru 1 400 km à différentes allures, de jour comme de nuit et sur tous les terrains. Tout en entretenant ma vitesse, j’ai habitué mon corps à repousser ses limites. Le jour J, j’ai bien résisté à la forte chaleur, en buvant 14 litres d’eau. Et puis, ma réussite s’est construite avec mon entraîneur et mentor, Marc Lozano. Notre duo ressemblait à «Astérix et Obélix». Lui, c’était la tête pensante, moi la force brute inspirée par une douce folie.
Quelles ont été les paramètres clés de ta préparation ?
- Il faut déjà être bien dans sa tête. Ma femme et mes deux enfants m’ont toujours soutenu dans cette aventure. C’était capital. Ensuite, il faut accepter de se lever tous les jours à 5h du matin pour conjuguer entraînement et vie professionnelle. Durant la phase de préparation, tu te serres de partout. Tu ne peux pas trop inviter tes amis, boire de bière l’été. Tu as l’impression de te désocialiser. Le temps est ton ennemi en permanence. Il faut sans cesse l’optimiser et s’organiser. Je pense avoir bien agi de ce côté-là. Ensuite, à l’entraînement, j’ai préparé mon corps à repousser son seuil de courbature en ‘‘cassant de la fibre’’. J’alternais des périodes intenses et des phases de récupération de cinq jours. Je me suis habitué à courir à toutes les allures et sur tous les terrains.
Après ta performance sur le 100 km de Millau, quels sont tes prochains objectifs ?
- Le 19 octobre, je participerai en meneur d’allure au Semi-marathon de Meaux, une épreuve organisée par un ami cycliste, Éric Leblacher. Puis en 2015, j’essaierai de courir en moins de 2h30’ sur le Marathon de Berlin. Je reviendrai ensuite au 100 kilomètres.
Propos recueillis par Julien BIGORNE
Bio express de Jean-François Tatard
- Frépillonnais de 33 ans. Cadre chez Idexx ; père de deux enfants.
- Athlète licencié à Franconville de 1993 à 1996 puis à l’EFCVO depuis 2009. Sponsorisé par Boutique Marathon.
- Coureur cycliste à l’EC Argenteuil de 1996 à 2007 puis au Pac 95 de 2007 à 2008. Deux fois champion de France corpo et durant quatre ans en Nationale amateurs.
- Palmarès en course à pied : 3e du 100 km de Millau 2014 en 8h09 ; 5e seniors du 100 km de Belvès 2013 en 7h46 ; 3e seniors du marathon de Florence 2012 en 2h34 ; vainqueur du semi-marathon de Mondeville 2014 en 1h26 ; 5e seniors du Semi de Barcelone 2013 en 1h12.
- Palmarès sur les épreuves valdoisiennes : vainqueur du 5 km d’Osny 2012 ; 2e du trail de Menucourt 2014, des Foulées de Beauchamp 2011 et du Tour de Méry 2009 ; 4e des Foulées des Peintres 2011, du 10 km de Saint-Witz 2011 et du 5 km de Sannois 2009.
Synthèse réalisée par Julien BIGORNE
Le classement des valdoisiens
Hommes :
1. Tatard (Efcvo) 8h09 ; 2. Léonard (Ac Beauchamp / Acb) 11h10 ; 3. Daverdon (Acb) 11h12 ; 4. Vauzelle (As Foulées du Vexin / Asfv) 11h18 ; 5. Bouchaud (Cergy) 11h28 ; 6. Duchet (Pierrelaye) 11h39 ; 7. Zappella (Asfv) 11h42 ; 8. Bougrainville (St-Clair-s/Epte) 12h34 ; 9. Bonnet (Courdimanche) 12h37 ; 10. Thibaudeau (Beauchamp) 12h44 ; 11. Liger (Acb) 12h52 ; 12. Bodin (Acb) 12h54 ; 13. Lesignac (Osny) 13h09 ; 14. Tanguy (Ms) 13h10 ; 15. Benzoni (Boissy) 13h45 ; 16. Le Cœur (Osny) 14h23 ; 17. Ducros (Herblay) 15h54 ; 18. Cavallina (Sarcelles) 18h23.
Femmes :
1. Marangotto (Asfv) 12h55 ; 2. Morel (Osny) 15h00.

